
L’anthropologie est une science apparue dans le sillage des grandes découvertes extérieures, permises dès la fin du XVème siècle, sur le développement des moyens de communication et de tout ce qui permettait la consolidation et l’usage des voies navigables. Plus récemment aériennes…
Déjà au XVIIIème siècle, tous les grands écrivains intégraient à leurs oeuvres des représentants de peuplades nouvellement rencontrées et aux moeurs étonnantes. Montesquieu avait son « persan », Voltaire avait son « nègre », Diderot son « chinois », Rousseau son « bon sauvage » amérindien, Diderot -encore lui- un « tahitien » porte-parole d’une critique radicale de la civilisation occidentale, notamment sur la sexualité et la propriété.
L’irruption de ces rencontres met sous observations, grâce à la capitalisation des connaissances permises par l’imprimé, ces groupes humains et leurs formes de sociétés. Elles deviennent objets d’études, soumises aux mêmes règles méthodiques que celles du progrès général qui en avait permis la découverte: un classement, un comparatisme, une description objective, une rationalité. L’anthropologie était née.
Finalement on rechercha, dans l’ensemble des données collectées, conservées, imprimées et extraites, analysées et cumulées, ou dans les développements des philosophes, de quoi reconsidérer l’hypothétique supériorité de l’homme blanc européen, autant qu’y trouver à l’opposé la preuve d’un progrès humain que ce même occident s’était mis à développer.
Le « tahitien » de Diderot se fait, par exemple, porte-parole d’une critique radicale de la civilisation occidentale. Mais moins d’un siècle et demi plus part, Jules Ferry identifiera l’oeuvre (coloniale) laïque à une nouvelle évangélisation: « la mission civilisatrice donnée par la providence aux européens qui ne conquièrent ni pour le plaisir ni pour exploiter les faibles, mais pour le progrès de la justice et des lumières » (Mona Ozouf)
Insérée dans le concert des disciplines composant « les sciences humaines », elle dut se repositionner et se redéfinir sous la poussée de leurs multiplications: la psychologie, la psychanalyse, la sociologie, la biologie, l’économie, la linguistique, l’éthologie, le darwinisme, le folklore… Aujourd’hui l’horizon s’est encore obscurci: certains intervenants dans les médias sont présentés comme anthropologues à défaut de mieux. L’anthropologue tend à y être regardée comme une catégorie fourre-tout: il est quelqu’un qui « s’intéresse à l’Homme ».
A contrario d’autres auteurs ont ouvert des brèches substantielles dans la compréhension de l’humain. Ils mériteraient d’être rattachés de plein titre à cette communauté de référence, tout en ne l’étant pas. Marcel Jousse appartient à cet ensemble et nous aimerions faire découvrir au lecteur l’intérêt de sa pensée pour une appréhension de la nature humaine aussi réaliste que novatrice.
La marginalisation en Europe de son anthropologie « physiologique » (tout comme celle de René Girard) est due à un préjugé politique et laïciste. Mais, en profondeur, il nous donne bel et bien les moyens de repenser certaines mutations dans l’histoire de la communication, et d’en tirer certaines conséquences sur la manière d’écrire et de comprendre l’histoire. Et le nouveau testament est le premier pas de cette illustration.
