Economie politique, finance, droit

Depuis ses origines, comme art de gouverner et de gérer les ressources, l’économie politique est devenue une science sociale critique qui analyse les rapports entre pouvoir, institutions et dynamiques économiques et matérielles.

Elle ne se limite plus de nos jours à la seule production de richesse, mais explore comment les choix politiques, les intérêts sociaux et les structures de pouvoir influencent les résultats économiques et réciproquement. Elle est aujourd’hui au croisement de l’économie, de la sociologie et de la science politique.

Elle est passée de la gestion des biens, à court rayon d’action, à la compréhension des systèmes; ne serait-ce que pour faire passer l’humanité de « l’art de faire » à la science des processus généralisables et extensibles. S’il y a une seule nature humaine, il devrait pouvoir n’y avoir qu’une seule économie politique, ou une économie politique qui marche pour tous.

Et si tel n’est pas encore le cas, le combat entre systèmes concurrents devraient alors être aussi total qu’à valeur universelle. De sorte que le système l’emportant finalement, il le soit au nom d’une vérité complète. D’où l’irruption sans précautions du mot science dans la politique par l’économie. Nous l’avons vu au siècle passé avec l’affrontement marxisme contre libéralisme, ou communisme contre capitalisme.

La doctrine a succombé à la tentation en effectuant ce passage: les théories (classique, néoclassique, marxiste, keynésienne) qui ont prévalu, remontent, par des approches analytiques, jusque dans des formalisations mathématiques a priori, en se fondant sur des axiomes qui paraissent rétrospectivement tous aussi défendables les uns que les autres. Mais il n’y a qu’un seul vainqueur.

Cependant, dans la bousculade et l’empoignade, une « école » de pensée a fait les frais de cette fascination consentie au formel et au théorique, identifiés eux-mêmes au vrai, au formalisable et au démontrable. Parmi les chefs de file de cette école oubliée: Thomas Tooke.

Ce sont ses ouvrages qui sont proposés à la lecture, en commençant par le volume 1 de son « Histoire des Prix » et son opuscule consacré à la « Currency Theory ». Pragmatique, son oeuvre est centrée sur l’observation des faits économiques et des comportements des agents tels que les renvoient les données d’une économétrie déjà bien développée par ses soins.

Pour lui, l’économie supposée par des théoriciens trop avides de devenir célèbres en découvrant des « théorèmes », à la façon des mathématiciens ou des physiciens, ne correspond pas vraiment à ce qui se passe sur le terrain, en dehors il est vrai de situations très particulières.

Banquier expérimenté, intellectuellement ouvert et probe, il défendit le « Bullion Report » de 1810 qui impliquait des idées auxquelles il adhéra au départ, mais qu’il finit par combattre farouchement. Nous restons impressionnés par sa recherche d’une adéquation entre réalité pratique et langage ou concept de reprise. Ce fil d’Ariane trace, en fait, la mutation intellectuelle qu’il s’est trouvé obligé d’opérer. Attitude qui reste d’actualité…

Cette question du statut du langage dans l’activité économique (mais la chose reste vraie pour toute autre science) est un motif majeur qui explique notre motivation à faire découvrir les oeuvres de Thomas Tooke. Mais une autre raison, même si la lecture du livre de Charles Rist a eu aussi son rôle, structure ce désir.

En effet, les éclaircissements que ces oeuvres permettent sur la nature et les fonctionnalités de la monnaie, mises véritablement à jour pour la première fois à l’époque, grâce à l’expérience de la suspension en cash-or des billets de la Banque d’Angleterre, à notre sens permettent de remettre la lisibilité des choses de l’économie sur de bons rails.

Et pour paraphraser Archimède: cela nous « donne un point fixe » qui permet de restructurer un certain nombre de chaînes de causalités, et de mesurer une première dérive aboutissant par exemple à la confusion entre monnaie, liquidité, trésorerie, capital. Finalement la monnaie deviendra dans nos sociétés laïques, une pure croyance, la concurrence des monnaies une concurrence de croyances.

Cela veut sans doute dire quelque chose lorsqu’un ministre de l’économie, bardé de diplômes, mais la confusion est générale, ne cesse de décrire des difficultés d’entreprise comme des manques de trésorerie, alors qu’il s’agit le plus souvent d’une sous capitalisation. La couverture d’un besoin en fond de roulement dans les entreprises ne se fait pas par la trésorerie! C’est pourtant…capital!