Laïcité française 3000 ans d’histoire

La France a eu ces derniers siècles, un rôle original et novateur. La particularité de son empreinte était, dans son esprit, qu’elle avait, comme par anticipation, dans l’exemplarité de son histoire, comme vécu par avance la libération de tous les peuples récapitulés en elle. En particulier de ceux qu’elle semblait assujettir (colonisation) en conquérant le monde.

En subissant son joug, ces peuples apparemment défaits par elle, devaient se découvrir comme révélés à eux-mêmes. Sous sa conduite, la lumière parvenant à chaque peuple de son être propre et vrai, enfin libéré, devait faire de tous des semblables et des frères… Et, fille aînée de la liberté et de l’égalité, elle s’attendait à ce que tous suivent et surenchérissent, dans la même lutte historique et fraternelle contre les dominations anciennes.


La laïcité s’est présentée en France dans la droite ligne de ce projet, sous le double aspect : d’un instrument formel de tactique politique, destiné à surfer sur les courants d’opinions antireligieux qu’elle contribuait à former, et d’un instrument de pensée substantiel, dont les qualités intrinsèques devaient déboucher (fondées sur les promesses et la créativité des sciences et des techniques) sur une nouvelle société, accomplissant les promesses de l’ancien religieux, usurpateur devenu perturbant puis ennemi.

Jules Ferry

C’est sans doute la raison pour laquelle, Jules Ferry (l’initiateur de cette laïcité) n’a pas craint de présenter l’oeuvre coloniale comme libératrice de peuples jusque-là sauvages, prisonniers de religions archaïques mais promis, de manière accélérée, à l’expérience que la France s’était mise à vivre et à écrire avant tous les autres et en leurs noms… Elle était leur institutrice désignée par l’histoire : ils avaient à découvrir que leur nom était, à travers elle, écrit de tout temps, dans une sorte de Coran incréé, que la religion s’était indûment appropriée.


La résistance à cet état d’esprit a duré: un agaçant entêtement des peuplades accueillies ou rencontrées, persistant à cultiver leur religion, par cette persistance même a fini par contraindre notre vulgate à la révision de deux dogmes : 1 – que la religion ne se tait pas forcément quand le ventre est plein, les droits sociaux acquis et un guichet efficace mis en place 2 – que s’intéresser à la religion ne sert pas à rien, puisqu’elle n’est pas amenée à dépérir comme les «superstructures » marxistes le supposaient.


La difficulté ici est que prise en défaut, la France ne peut plus corriger sa trajectoire sans générer, en interne, un cas de conscience. Ce pays a tenté, dans une histoire si essentielle, une refondation politique si radicale, en écartant la religion, continent qui allait disparaître, que ses certitudes se trouvant aujourd’hui contre-carrées, il voit toute hésitation sur son héritage laïque comme un danger absolu. Jaloux de sa superbe, poussé un tantinet vers l’arrogance identitaire, l’ignorance longtemps cultivée aujourd’hui l’expose à la satisfaction par l’insulte, la distinction des faibles.


Or comprendre que la question de la laïcisation de la société, bien loin d’être née avec les lumières et bien que rassurée un temps par les oeillères de la « table rase », est en fait une réalité historique multimillénaire, voilà qui change l’optique de l’analyse, recadre les définitions, multiplie les perspectives, déploie des ressources jusque-là écrasées et plaquées au sol. Ce n’est pas en se forçant à ne voir que l’avenir que l’on fait disparaître un passé qui est toujours la première externalité du présent intelligé.


En Europe, le rameau historique judéo-chrétien a sans cesse actualisé cette mémoire. L’ancien testament en atteste déjà en beaucoup d’endroits, et juifs et chrétiens n’ont jamais cessé de l’interroger à ce sujet. Six livres du vieux testament sont consacrés aux rapports problématiques de Dieu avec l’institution politique! Avec crainte et tremblement les religieux ont réinterprété ces sources, les ont confrontées avec leurs époques, rétro-éclairé les dires des pères à partir de l’actualité, critiqué l’actualité à la lumière des expériences successives agrégées peu à peu dans des formules (dogme). Ce que l’on a posé comme un arbitraire hiérarchique est en fait le fruit d’une dialectique.

Du coup nous tenons un étalon de comparaison qui remonte toute la filière. Un point fixe équivalent au pied de monnaie des numismates, équivalent aussi au carottage de glace pour les climatologues. Il nous permet de replonger notre définition moderne de la laïcité, droit dans le bain multiséculaire des heurts de la politique et de la religion au travers de l’élaboration théologique progressive qu’en a fait l’Église Catholique et qu’elle continue d’activer et de travailler. Peut-être pour le bien de tous.

Il n’est pas dit que ce qu’il y a de bon dans la laïcité ne sera pas sauvé par…l’Eglise Catholique!

C’est cet exposé que nous tentons. Le lecteur doit s’attendre à quelques surprises ! N’est pas le mieux laïque celui qu’on croit, si le plus religieux celui qu’on pense… Le résultat cherché est de mieux répondre à cette question : qu’est-ce qu’une vraie laïcité ?